13 hivers consécutifs de brassage incomplet, un record historique

Un brassage assure une réoxygénation optimale des eaux profondes. Or, depuis 2012, ce phénomène est partiel. Cet hiver, les masses d’eau ne se sont mélangées que jusqu’à 110 mètres de profondeur, soit un peu plus du tiers des 309 mètres que compte le lac. Ce record historique de treize hivers consécutifs sans brassage complet perturbe durablement le fonctionnement de l’écosystème. Si cette tendance se poursuit, le Léman risque d’évoluer vers un état où les échanges verticaux sont réduits, et accentue le contraste entre les couches profondes désoxygénées et riches en nutriments et les eaux de surface oxygénées et au teneur en nutriments plus réduite.

Pourquoi le Léman ne brasse-t-il plus complètement ?

Le brassage hivernal vertical repose sur deux facteurs clés :

  • Le refroidissement des eaux de surface : lorsque la température de l’air chute, l’eau de surface se refroidit, devient plus dense et peut s’enfoncer vers les eaux profondes.
  • L’action du vent : des vents suffisamment soutenus doivent générer des courants verticaux pour homogénéiser la colonne d’eau.

Or, le réchauffement climatique perturbe ces dynamiques :

  • Des hivers de plus en plus doux empêchent un refroidissement suffisant des eaux de surface. Cet hiver, la température minimale enregistrée dans la couche de surface a atteint 7,8°C, soit une hausse de 1,5°C par rapport à la moyenne 1991-2020.
  • Le renforcement de la stratification thermique : La différence de température entre les eaux de surface, de plus en plus chaudes et légères, et les eaux profondes, froides et lourdes, s’accentue, rendant le brassage plus difficile. Un indicateur clé, la stabilité de Schmidt, qui mesure la résistance du lac au mélange, montre une augmentation marquée depuis 2012.

Un renouvellement des eaux profondes plus complexe que prévu

En 2024, une étude de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), basée sur les données de la CIPEL, a révélé que le brassage complet de 2012 ne s’est pas produit uniquement grâce au mélange vertical, mais aussi grâce à des flux latéraux en provenance du Petit Lac (profondeur maximale : 70 m) et des zones côtières du Grand Lac. Ces courants, générés par un refroidissement plus rapide des eaux peu profondes, ont contribué à l’oxygénation des couches profondes. Avec le réchauffement climatique, le brassage vertical complet deviendra plus rare, mais ces courants latéraux continueront de jouer un rôle important.
Conséquences écologiques : le fonctionnement de l’écosystème est en transition

  1. Désoxygénation des eaux profondes
    En 2025, la concentration en oxygène dissous à 300-309 m de profondeur est de 2,4 mg/L, bien en dessous du seuil critique de 4 mg/L nécessaire à la survie des espèces sensibles. Ce niveau représente une baisse de 70 % par rapport à 2012 (8,4 mg/L).
    Ces conditions hypoxiques des eaux profondes impactent la survie de la faune des grandes profondeurs, notamment les vers oligochètes et les mollusques.
    De plus, l’absence de brassage complet au cours des 13 dernières années a entraîné une stagnation des eaux profondes, provoquant une augmentation de leur température de 1,2°C et modifiant les processus physico-chimiques du lac.
  2. Perturbation de la chaîne alimentaire
    Le fonctionnement de l’écosystème repose sur une synchronisation saisonnière entre le phytoplancton, le zooplancton et les poissons, régulée par les nutriments, la température et l’ensoleillement nécessaires à la photosynthèse. Le brassage hivernal joue un rôle clé en apportant les nutriments au moment crucial où le phytoplancton amorce sa croissance printanière grâce à la photosynthèse, produisant ainsi l’oxygène essentiel à l’ensemble de l’écosystème.
    Ce processus est fondamental, car le phytoplancton constitue la base de la chaîne alimentaire : il nourrit le zooplancton et régule sa biomasse, assurant ainsi l’équilibre des populations piscicoles. Or, dans le Léman, on observe aujourd’hui une diminution du zooplancton et un affaiblissement de la communauté piscicole, compromettant l’équilibre écologique du lac.
  3. Accumulation des nutriments en profondeur et risque pour les usages du Léman
    Sans brassage complet, les nutriments s’accumulent dans les eaux profondes au lieu d’être redistribués en surface. Si un brassage complet survenait brutalement à la suite d’un hiver exceptionnellement froid et venteux, leur libération soudaine pourrait provoquer une prolifération massive d’algues. Cela altérerait temporairement la qualité de l’eau, perturberait la biodiversité et impacterait les usages du Léman, notamment la baignade et la production d’eau potable.

Le Léman en phase de transition inédite

Le Léman a déjà connu une longue période sans brassage complet entre 1986 et 1999. Toutefois, les effets du réchauffement climatique réduisent les chances d’un retour spontané à la normale.

Désormais, le Léman traverse une phase de transition inédite, influencée non seulement par le changement climatique, mais aussi par la prolifération de la moule quagga, une espèce invasive capable de transformer en profondeur l’écosystème du lac.

Des recherches renforcées pour préserver le Léman

Face à ces changements, la CIPEL intensifie ses actions afin de mieux comprendre les dynamiques écologiques du Léman et ses évolutions. Plusieurs axes prioritaires sont développés en 2025 :

  • L’étude sur la compréhension de l’effondrement du zooplancton et son impact sur le fonctionnement de l’écosystème.
  • Le projet SEDLEM’25, qui analyse l’évolution des conditions environnementales dans les eaux profondes et les sédiments, ainsi que leurs effets sur les organismes y vivant.
  • Un suivi renforcé de l’expansion de la moule quagga, tout en essayant de limiter sa dispersion et à prévenir l’arrivée d’autres espèces invasives.
  • L’analyse des polluants émergents, tels que les micropolluants et microplastiques, afin d’identifier leurs sources et d’en quantifier les apports.

Un défi collectif pour préserver un patrimoine naturel exceptionnel

L’évolution du Léman est un reflet direct du réchauffement climatique. Partout dans le monde, les grands lacs figurent parmi les premiers indicateurs des changements globaux. Un suivi rigoureux et des mesures adaptées sont indispensables pour comprendre ces transformations et anticiper leurs impacts.

Ces initiatives sont essentielles pour préserver la qualité des eaux et assurer la résilience du Léman dans une perspective de gestion durable. Préserver le Léman, ce patrimoine naturel d’exception et plus grand îlot de fraîcheur d’eau douce d’Europe occidentale, est un défi collectif. Il implique l’engagement des scientifiques, des autorités publiques, des décideurs politiques et des citoyens.

 

Visionnez nos deux capsules vidéos vulgarisées disponibles sur les réseaux :

  • Vidéo – Partie 1 : via Facebook ou Instagram
  • Vidéo – Partie 2 : via Facebook ou Instagram (bientôt)